Une manière peu ordinaire de venir à Mâ

par André Riehl

Enseignant de yoga
 _ Président de l’Association pour le Yoga Traditionnel

J’ai retrouvé André au Congrès européen de yoga à Zinal en Suisse fin août. André s’occupe de la fédération de yoga traditionnel, il a une longue association avec Chandra Swâmi qui au début habitait lui aussi Hardwar. Nous avons dîné dans un chalet en vue du Mont Cervin, et André m’a raconté la manière peu banale dont il était venu à Mâ.

« Tout a commencé par un rêve, en 1978: je voyais une dame qui me demandait de venir en Inde. J’avais l’image précise d’une ruelle avec une vache, des bas-côtés montant à un mètre cinquante contre les maisons. Au réveil, lorsque je racontai le rêve à ma compagne, mon ton était si intense qu’elle crut que j’allais partir pour l’Inde le jour même ! Je me raisonnai en me disant que ce n’était qu’un rêve…Cependant, la nuit suivante l’appel se fit à nouveau entendre. Cette fois, j’essayais, à l’intérieur du songe, d’expliquer à cette inconnue, que je n’avais pas d’argent pour aller la voir ; elle me répondit alors qu’une personne allait se présenter le jour suivant qui m’en donnerait. Ce jour là, effectivement, une ancienne amie, Monique, sonna à ma porte. Tout à fait fortuitement au cours de notre conversation, je lui fis part de mon envie de partir en Inde. Aussitôt, elle se mit à parler de Mâ Anandamayî en sortant de son sac le livre qu’elle était en train de lire. Quelle ne fut pas ma surprise de voir qu’il s’agissait de la dame que j’avais vue dans mes rêves ! Je me confiai alors à Monique qui me proposa immédiatement de financer ce voyage. Je partis l’été suivant, et mon amie décida alors de m’accompagner. J’avais sans doute certaines réticences car, quand nous sommes arrivés à Bénarès, je ne me suis pas directement rendu à l’ashram de Mâ, mais installé 3 ou 4 jours dans un hôtel. C’est à la réception de cet hôtel qu’un coursier arriva alors que je m’y trouvais. Le patron me dit simplement : « Tiens, c’est quelqu’un qui arrive de l’ashram de Mâ et qui vient d’apporter un message ». Ce message n’était pas pour moi, mais j’ai quand même compris qu’il me fallait aller à l’ashram, la coïncidence étant trop forte. Quand je suis arrivé dans la ruelle de Badhaini, j’ai tout de suite reconnu l’image de mes rêves, dans tous ses détails, y compris les escaliers descendant sur le Gange. Une pûjâ venait de commencer dans le nouveau temple à gauche, où se tient à présent la statue de Mâ. Soudain, une joie à perdre connaissance m’envahit, si bien que mon amie dut me soutenir. Je me rendis ensuite à l’accueil de l’ancien ashram, disant que je voulais voir Mâ, expliquant que j’avais eu des expériences où elle apparaissait. On me répondit que beaucoup de personnes avaient des expériences avec Mâ, et qu’on n’avait pas le temps de toutes les écouter ; d’ailleurs Mâ était partie à Naimisharanya, un village de l’Uttar Pradesh près de Lucknow, où les Pouranas sont censées avoir été écrites, et où Mâ avait fondé un ashram. Le lendemain, nous avons donc pris le train en troisième classe pour ce lieu de pèlerinage. Le wagon était plein à craquer et nous avons passé la nuit pressés comme des sardines. Au petit matin, à la gare, un Swâmi de Mâ s’est avancé vers nous pour nous demander si nous savions où loger, car il n’y avait pas d’hôtel dans le village. Il nous a indiqué une dharamsala où nous avons loué une chambre. Il nous apprit également que Mâ donnait chaque jour son darshan à dix sept heures. Elle était malade et recevait très peu, mais on pouvait la voir à cette heure-là. Donc, dans l’après-midi, nous nous sommes rendus au darshan. Il y avait plusieurs centaines de personnes qui attendaient. A l’heure dite, elle apparut sur la terrasse, mais deux ou trois minutes plus tard, elle s’apprêtait déjà à faire demi-tour ! Je venais de faire 10 000 km pour la rencontrer, et elle allait disparaître sans que j’aie pu m’entretenir avec elle ! Dans un état second, je me mis à crier : « Mâ, Mâ, je veux vous voir ! Elle se retourna un instant, puis repartit. Un attroupement d’indiens forts mécontents s’était créé autour de moi, me reprochant mon incorrection vis à vis de Mâ. Un Swâmi me demanda finalement : « qu’est-ce que vous voulez au juste ? » Je répondis : « voir Mâ. », « Bien, demain après le darshan, je vous ferai signe et vous me suivrez ». Comme prévu, le lendemain il me fit signe et je le suivis jusqu’à la porte au bas du bâtiment de Mâ. Mais elle était fermée de l’intérieur, et nous ne pouvions pas entrer. Là encore, j’ai en quelque sorte perdu le contrôle et je me suis mis à frapper violemment la porte avec l’épaule. Quand elle s’est ouverte, je me suis précipité, et bousculant une personne, j’ai gravi les escaliers quatre à quatre avec Monique qui me suivait comme elle pouvait. Mâ qui se tenait à l’étage, s’inquiéta du vacarme. Les personnes présentes lui exposèrent ma situation et elle me demanda de me présenter. Je lui expliquai que je venais de faire 10 000 km pour m’entretenir avec elle, et que je voulais son conseil. Elle me dit alors: « Allez à la messe le dimanche ! » Je fus complètement décontenancé par cette réponse totalement inattendue. Après avoir retrouvé mes esprits, au bout de quelques temps, je réussis à lui dire que la pratique chrétienne m’était fort éloignée, que j’étais davantage attiré vers le yoga. Elle réfléchit un moment, et finalement me donna un exercice de yoga. Une fois dans la rue, j’ai été envahi d’une joie indescriptible, et pendant toute la nuit, j’ai eu des visions, en particulier, des expériences de lumière, ainsi que des expériences émotionnelles très fortes. J’ai vécu des périodes d’extase où je m’oubliais dans la méditation. Cette avalanche d’expériences a duré ensuite durant six mois de façon très intense, puis encore pendant trois ans de manière assez soutenue.

Le 27 août 1982, j’allais voir Krishnamurti en Angleterre. Il était tard, je suis arrivé dans un camping en région parisienne, j’ai planté ma tente, je n’avais rien dans le ventre, il faisait déjà nuit, et soudain j’ai senti que Mâ pénétrait dans mon corps. C’est seulement trois semaines plus tard que j’ai appris que ce soir là, Mâ avait quitté son corps.

Une autre fois, je me trouvais dans une petite chambre à Aix en Provence. Je vivais seul, j’avais des hauts et des bas, et un matin où j’étais plutôt déprimé, j’ai vu Mâ dans ma chambre. Il s’agissait d’une vision extrêmement réaliste, je ne sais plus si ses paroles étaient explicites mais le message était très clair : je ne devais plus rester ici à ne rien faire, je devais sortir. Je suis donc descendu marcher dans les rues, et suis entré dans une librairie. Là, j’ai pris le premier livre qui me tombait sous la main, il s’agissait d’un ouvrage de paroles de Mâ, j’ai ouvert une page au hasard, et celle-ci décrivait directement ma situation.

Des expériences se sont poursuivies jusqu’en 1986. A cette époque je suis retourné en Inde. En passant à Kankhal, où se trouve le samâdhi de Mâ, j’ai rencontré Swâmi Ashishanananda. Alors que je lui contais ce qui m’arrivait parfois, il s’écria : « Mais ce n’est pas extraordinaire, un certain nombre d’entre nous voit Mâ tous les matins dans le jardin ! » J’ai aussitôt pensé: « Ils ont bien de la chance ! »

Peu à peu ce contact assez mouvementé que j’avais eu avec Mâ pendant des années, a cessé ».

André Riehl ©

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